Le Monde, les inséparables

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Honji Wang et Sébastien Ramirez, les inséparables de la danse hip-hop

Elle le dit comme une blague : son identité est tamponnée Corée du Nord avec un coup de vernis allemand. Lui riposte par un arrimage plein sud espagnol et un berceau français nommé Perpignan. Mais comment font-ils ? Par quel miracle les danseurs et chorégraphes Honji Wang, née à Francfort de parents coréens, et Sébastien Ramirez, issu d’une famille d’immigrés politiques espagnols, échappent-ils au choc des antipodes pour vivre et créer main dans la main ?

Posées côte à côte dans un restaurant de Montpellier, ces deux stars de la scène hip-hop ressemblent à une paire d’amoureux en vacances. Les ongles bleu ciel d’Honji Wang, 36 ans, naturellement lumineuse, claquent sur la tranche de melon orange. Sobrement décontracté et sport – il a été champion de France de break dance au Red Bull BC One 2007 –, Sébastien Ramirez, 35 ans, possède l’allure tranquille de celui qui a du coffre et aucun besoin de le faire savoir. Depuis 2011, et le succès de leur duo intitulé Monchichi, nom de la peluche Kiki le ouistiti et surnom de Honji Wang, le couple a imposé en quelques pièces le label Wang-Ramirez, un point c’est tout. Les institutions, depuis le Théâtre de l’Archipel, à Perpignan, partenaire historique depuis les débuts, au Sadler’s Wells, à Londres, en passant par le Théâtre de la Ville, à Paris, les courtisent au point que leurs deux noms accolés sont devenus le code d’accès d’un hip-hop grand public dont ces inséparables sont les garants glamour.

La première fois ? Ils ont 22 ans. C’était fin 2004, à Berlin, où vivait Honji Wang. Dans une salle d’entraînement, l’Antenne KMA, dans le quartier de Kreuzberg, à Berlin. « Les jeunes danseurs se rencontrent dans des confrontations informelles et développent ainsi leur vocabulaire technique, raconte Ramirez. Je collaborais à l’époque avec le hip-hopeur allemand Storm et nous nous entraînions régulièrement ici. Honji démarrait dans le b-boying, style acrobatique au sol. On a dansé ensemble et j’ai trouvé sa qualité gestuelle très intéressante. » Honji Wang s’est sculptée à la barre classique entre 8 et 14 ans, avant de choisir le hip-hop.



Gréage chorégraphique

« Je débutais et j’étais évidemment la seule fille dans le groupe, complète-t-elle. Mais je me fichais complètement de la façon dont les gars me considéraient. J’étais dans ma bulle et j’ai réussi néanmoins à entrer dans le cercle pour montrer ce que je faisais et apprendre en regardant les autres. Je n’avais rien à perdre. C’est comme ça qu’on s’améliore dans ce milieu» Le lendemain de cette première performance avec Sébastien, Honji fait la « une » des journaux allemands. Cinq ans plus tard, en 2009, ils décrochent ensemble le prix spécial de la Compétition internationale de chorégraphie à Osaka.

Et c’est dans ce va-et-vient tendu d’apprentissage, de partage, de défi et de progression entre elle et Ramirez que Honji Wang a gagné ses galons d’interprète puis de chorégraphe. « Mais ça a pris du temps, explique-t-elle. Nous sommes ensemble depuis 2005 et j’ai eu besoin de cinq ans pour atteindre un certain niveau. Sébastien et moi, nous avons participé à des battles, fabriqué des petites pièces, des galops d’essai. J’ai réalisé que l’on pouvait faire sa vie avec la danse. » Ensemble, ils se rendent aussi compte d’une évidence :

« Si on ne travaillait pas ensemble, on ne pourrait pas vivre ensemble, encore moins rester tous les deux. »

Au fil de la conversation, ils semblent revivre en direct les étapes de leur parcours. Ils s’écoutent, réfléchissent chacun de leur côté, comparent leurs commentaires, s’interrogent sur leur règle du jeu. Ils se remémorent l’évolution d’une relation amoureuse et artistique qui a démarré sur un pied d’inégalité – Ramirez en tête – pour équilibrer vite fait bien fait les deux plateaux de la balance. D’un pas de deux entre Amor et Psyché intitulé AP15 (2010), naît leur collaboration. Après Monchichi, leur cosignature claque à l’affiche avecBorderline (2013), pour cinq danseurs et un manipulateur de câbles. En voix off, le père de Ramirez, républicain espagnol, ancien ouvrier, clame haut et fort : « Manger, boire et faire l’amour. » Trois ans après, Everyness envoie en l’aircinq interprètes grâce à une structure de câbles élastiques. Le style existentiel, narratif en douce, toujours acrobatique de Wang-Ramirez, expert également en aérien et gréage chorégraphique, marque le terrain.



A la table de travail, Sébastien Ramirez lance l’idée d’un spectacle, son esthétique visuelle. « J’aime construire la structure générale de la pièce, le mouvement dans son ensemble tandis que Honji va s’attacher plutôt à la dramaturgie », précise-t-il. « J’apprécie de travailler sur les détails, préciser le sens de chaque chose, assène-t-elle. Je veux questionner, chercher le plus loin possible là où le jeu chorégraphique devient un peu dangereux pour chacun d’entre nous. » Lui se déclare « plus logique, plus carré, avec un besoin d’éléments sécurisants ».Elle est « plus cérébrale, aimant expérimenter ». « J’aime surtout beaucoup discuter, analyser, glisse-t-elle comme on avoue un péché trop mignon. Evidemment, on peut faire n’importe quoi sans donner aucune raison. Il m’importe que chaque mouvement possède une signification, sans intellectualiser pour autant. Sébastien est tout le contraire, mais c’est sans doute pour ça que nous nous complétons. Quitte à aller au conflit ! »

La question de l’autorité face à un groupe de danseurs laisse le couple serein. La règle de départ : impliquer au maximum tout le monde dans la recherche. « Curieusement, les interprètes s’adressent généralement à Sébastien pour régler les problèmes,affirme Honji Wang. Même moi d’ailleurs ! Il possède ce qu’on appelle une autorité naturelle. » « Ce qui ne t’empêche pas de continuer à chercher dans ton coin, commente Sébastien Ramirez. Dans tous les cas, on évite la confusion devant les autres lorsqu’on n’est pas d’accord. En revanche, on n’a pas peur de dire que l’on est perdu. Je ne suis pas tellement sociable et lorsqu’on fait des retours sur le travail des uns et des autres, c’est Honji qui parle plus facilement et donne plus de conseils que moi. On essaye de conserver une fluidité dans les échanges, d’être positif et fertile dans les discussions. »

Des désaccords dans l’air ? Chacun laisse l’autre emporter le morceau s’il est vraiment sûr de son affaire. Une recette qui fonctionne intuitivement et a fait ses preuves, en particulier dans un contexte où leur succès augmente le poids des productions et le nombre de collaborateurs autour d’eux.

Parallèlement à la création de spectacles, Wang-Ramirez retrouvent leur prénom lors d’embardées extra-artistiques. En 2015, ils ont été choisis par Madonna pour le show du Rebel Heart Tour. Ils ont auditionné à Paris et ont été sélectionnés tous les deux. Honji a été invitée à participer comme interprète à la tournée, mais a décliné : « Je ne pouvais pas assurer le suivi de nos spectacles et puis, je ne peux pas vivre longtemps sans Sébastien ! » Lui a été embauché pour chorégraphier deux tableaux. « On a donné notre vie pour développer la compagnie et faire des créations sur scène, on n’allait pas remettre ça en cause », ajoute-t-il.

Récemment, en 2017, leur spectacle Dystopian Dream, commande du Sadler’s Wells, a décliné dans son intégralité l’album du même nom du compositeur britannique Nitin Sawhney. Une opération de choc auquel Wang-Ramirez a bien résisté. « Une expérience riche mais compliquée qui s’est révélée un véritable apprentissage », résume Ramirez.

Virtuosité technique et expertise aérienne

Construire une famille artistique, cultiver la fragilité de la sincérité, rechargent en permanence les batteries du couple. Pas à pas, spectacle après spectacle, leurs escaliers mélodiques semblent sans fin. Côté hip-hop, chacun développe sa spécificité. Le style libre d’Honji Wang amalgame les pratiques du popping, qui fait péter les muscles comme du pop-corn, et les arts martiaux. Sébastien Ramirez, lui, propulse la virtuosité technique et l’expertise aérienne. Depuis 2013, Honji Wang, plus proche du plateau que de l’administratif, a aussi rejoint l’équipe de production. Comme Ramirez, qui met la main à la pâte à tous les niveaux, elle participe au montage financier, à la recherche des théâtres et institutions pour décrocher les subventions, à la bonne marche des tournées…« On partage tout aujourd’hui, affirme-t-elle. La production, la communication, la création… »

Sur leur site, la photo de présentation de leurs parcours les met en scène dans un théâtre. Honji Wang est assise sur le dossier d’un fauteuil juste derrière Sébastien Ramirez, ses pieds nus posés sur le dos tout aussi nu de son partenaire. Comment ne pas se marcher sur l’ego lorsqu’on bosse au coude à coude ? « Evidemment, c’est très intime la recherche artistique, glisse-t-il. Si on vexe l’autre parce qu’on n’a pas respecté son code, ou si on interfère au mauvais moment dans une discussion avec le groupe, la relation peut devenir délicate. On essaye à chaque fois de ne pas faire jouer les danseurs entre les deux patrons. Faire équipe avec deux cerveaux est notre but et notre façon de faire. » Et ça marche rondement.


— Rosita Boisseau

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